Les droits de l'enfant face à l'assiette
Par Alexandra Palao |
20 novembre 2019
L’enfant a des droits : à l’expression, à l’éducation, au soin, à la protection…
« Non, toi tu as juste le droit de te resservir en haricots verts. Ta cousine, elle, peut reprendre des frites. “
Un échange irréel ?
Pas du tout. Totalement réel. La petite-fille a 10 ans. Elle pourrait aussi bien avoir 5 ans, 8 ans ou 13.
Et que dire de cette mère qui s’étonne qu’à 15 ans, sa fille soit obsédée par les recettes de bons petits plats. Une jeune fille au régime depuis son plus jeune âge.
Et cette autre petite fille qui doit faire du sport avant de se voir offrir un bonbon.
L’intention des adultes n’est pas malveillante en soi. Elle répond à leur peur qu’enfant, petit-enfant,qui se sont arrondis récemment, grossissent davantage.
Question : avoir peur que l’enfant grossisse est-il le meilleur moyen de l’aider à manger de façon juste et éclairée ?Et surtout de façon apaisée ?
N’est-ce pas là le meilleur moyen pour qu’il développe une peur face aux aliments gras et sucrés, peur de grossir, osons le dire ? Et qu’à force de résister à ses envies, il développe une obsession sur l’alimentation et des conduites alimentaires dérégulées ?
Elle s’est donnée pour mission de rendre sa petite fille heureuse…en la rendant mince. Pendant les vacances scolaires, lorsqu’elle en a la garde, elle lui sert carottes et tomates, accompagnés d’un filet de poulet sans peau.
Résultat ? La petite mange en cachette tellement elle a faim. On ne pourra pas la blâmer. D'autant qu'elle mange des fruits, car c'est tout ce qu'elle trouve de sucré!
Les bourrelets persistant, la petite fille a consulté une diététicienne. Qui l’a mise au régime. Un régime sans gras, sans sucres ajoutés.
La mère n’a pas tenu 2 jours. Ne pouvant se résoudre à faire à manger sa fille différemment du reste de la famille.
Mettre au régime un enfant de 10 ans qui fait 45 kilos est le meilleur moyen pour qu’il en fasse 50kg de plus dans 10 ou 15 ans. J’aimerais tant me tromper.
Les témoignages des patients sont pourtant bien là.
Ces patients-là ont été plus que patients avec tous les professionnels de l’alimentation consultés durant des années. Certains leur ont faire réduire les aliments gras, d’autres les aliments sucrés. A chaque fois, la perte de poids était suivie d’une reprise pondérale supérieure à la perte. Et de régime en régime, ils ont observé leur poids s’élever….
Au-delà de la dimension énergétique et nutritionnelle, l’enfant mange pour se faire aimer, pour être accepté, pour s’intégrer dans un groupe. Pour plaire à sa mère, à son père, à tous les adultes qui prennent soin de lui, de sa sécurité.
Si le rapport à l’assiette devient le jeu d’une lutte quotidienne envers lui-même, envers ses envies et inévitablement envers les aliments, alors le chemin s’annonce difficile.
La vie n’est-elle pas déjà par essence source d’obstacles, de souffrances ? Faut-il en rajouter ?
Lorsque le repas, l’acte de s’alimenter devient source de souffrances pour l’enfant, il n’est plus en sécurité.
Ne devons-nous pas veiller sur sa sécurité ? N’est-ce pas là une violence éducative ordinaire ?
Pourquoi en ajouter ? Créer des problèmes là où il n’y en n’a pas encore ?
Les témoignages poignants, nécessaires de Gabrielle Deydier, Daria Marx** et de toutes celles qui confient leur parcours de prise en charge de leur obésité sont édifiants. Elles ont vécu un parcours du combattant qui les a menés dans la situation actuelle.
Voici ce qui me frappe dans leurs témoignages et ceux de mes patientes : en regardent leurs photos d’enfance, elles n’y voient qu’une petite fille un peu plus ronde que la« normale »….qui a enchaîné régime après régime et vu son poids grimper inexorablement à chaque décompensation de phase de restrictive.
Alors de grâce,changeons de regard. Osons remettre en question nos croyances.
Ce qui fait grossir,c’est de manger de trop par rapport à nos besoins. Quelque soit la composition nutritionnelle de ce « tout ». De vouloir contrôler notre alimentation. « Faire attention » est une pratique restrictive déguisée.
« Osez manger- Se libérer du contrôle » le dernier ouvrage commis par Jean-Philippe ZERMATI*, est des plus précieux pour comprendre notre époque et ce qui se joue en matière alimentaire.
Osons manger joyeusement, nous remettant à l’écoute de notre corps, en mangeant en pleine présence le plus possible.
Nous ferons alors de la prévention primaire seul moyen véritable pour réduire la prévalence de l’obésité.
Le mangeur moderne dédie une énergie monumentale à lutter contre les aliments gras et sucrés, contre les envies de douceurs. S’il investissait ne serait-ce qu’un tiers de cette énergie au service d’une autre manière de manger ? Pour apprendre à manger ces mêmes aliments avec attention aux 5 sens, leurs messages, présent au plaisir et à son évolution, au rassasiement, le tout dans un rapport sécurisant à l’aliment.
Il est encore temps.
Il est temps d’affronter la peur que les enfants grossissent. Pour que justement, ils gardent un rapport régulé et souple avec leur assiette ! Et qu’ils restent à leur poids d’équilibre, celui qui a été défini par leurs gènes, par la Nature.
Alors, « osez manger ». Joyeusement. Pleinement vivants et présents, dans l’instant présent.
Alexandra PALAO
Diététicienne-nutritionniste comportementale, praticienne du G.R.O.S
Instructrice de méditation de pleine conscience (MBSR)
Consultante et créatrice de Programmes d’éducation au goût en pleine conscience
*: Jean-Philippe ZERMATI est l’un des 3 fondateurs du Groupe de Réflexion sur l’Obésité et le Surpoids, crééen 1998. L’association regroupe des professionnels de santé prenant en charge des personnes en difficulté avec leur poids et leur comportement alimentaire. L'association a vocation d'être un lieu de réflexion, d'échanges et de formation.
** : "Gros n'est pas un gros mot", Daria Marx et Eva Perez-Bello et "On ne naît pas grosse", de Gabrielle Deydier.
Quels sont ses droits face à son assiette ?
“Mamie, je peux me resservir de frites? «« Non, toi tu as juste le droit de te resservir en haricots verts. Ta cousine, elle, peut reprendre des frites. “
Un échange irréel ?
Pas du tout. Totalement réel. La petite-fille a 10 ans. Elle pourrait aussi bien avoir 5 ans, 8 ans ou 13.
Et que dire de cette mère qui s’étonne qu’à 15 ans, sa fille soit obsédée par les recettes de bons petits plats. Une jeune fille au régime depuis son plus jeune âge.
Et cette autre petite fille qui doit faire du sport avant de se voir offrir un bonbon.
L’intention des adultes n’est pas malveillante en soi. Elle répond à leur peur qu’enfant, petit-enfant,qui se sont arrondis récemment, grossissent davantage.
Question : avoir peur que l’enfant grossisse est-il le meilleur moyen de l’aider à manger de façon juste et éclairée ?Et surtout de façon apaisée ?
N’est-ce pas là le meilleur moyen pour qu’il développe une peur face aux aliments gras et sucrés, peur de grossir, osons le dire ? Et qu’à force de résister à ses envies, il développe une obsession sur l’alimentation et des conduites alimentaires dérégulées ?
L'histoire de la première petite fille
Elle a pris 3 kilos en 3mois. Sa mère est en léger surpoids. La grand-mère a la silhouette parfaite. Selon elle, pour être heureux il faut être mince.Elle s’est donnée pour mission de rendre sa petite fille heureuse…en la rendant mince. Pendant les vacances scolaires, lorsqu’elle en a la garde, elle lui sert carottes et tomates, accompagnés d’un filet de poulet sans peau.
Résultat ? La petite mange en cachette tellement elle a faim. On ne pourra pas la blâmer. D'autant qu'elle mange des fruits, car c'est tout ce qu'elle trouve de sucré!
Les bourrelets persistant, la petite fille a consulté une diététicienne. Qui l’a mise au régime. Un régime sans gras, sans sucres ajoutés.
La mère n’a pas tenu 2 jours. Ne pouvant se résoudre à faire à manger sa fille différemment du reste de la famille.
Mettre au régime un enfant de 10 ans qui fait 45 kilos est le meilleur moyen pour qu’il en fasse 50kg de plus dans 10 ou 15 ans. J’aimerais tant me tromper.
Les témoignages des patients sont pourtant bien là.
Ces patients-là ont été plus que patients avec tous les professionnels de l’alimentation consultés durant des années. Certains leur ont faire réduire les aliments gras, d’autres les aliments sucrés. A chaque fois, la perte de poids était suivie d’une reprise pondérale supérieure à la perte. Et de régime en régime, ils ont observé leur poids s’élever….
Revenons à l’enfant, ses droits en matière alimentaire
Manger, un acte symboliquement richeAu-delà de la dimension énergétique et nutritionnelle, l’enfant mange pour se faire aimer, pour être accepté, pour s’intégrer dans un groupe. Pour plaire à sa mère, à son père, à tous les adultes qui prennent soin de lui, de sa sécurité.
Si le rapport à l’assiette devient le jeu d’une lutte quotidienne envers lui-même, envers ses envies et inévitablement envers les aliments, alors le chemin s’annonce difficile.
La vie n’est-elle pas déjà par essence source d’obstacles, de souffrances ? Faut-il en rajouter ?
Lorsque le repas, l’acte de s’alimenter devient source de souffrances pour l’enfant, il n’est plus en sécurité.
Ne devons-nous pas veiller sur sa sécurité ? N’est-ce pas là une violence éducative ordinaire ?
Pourquoi en ajouter ? Créer des problèmes là où il n’y en n’a pas encore ?
Les témoignages poignants, nécessaires de Gabrielle Deydier, Daria Marx** et de toutes celles qui confient leur parcours de prise en charge de leur obésité sont édifiants. Elles ont vécu un parcours du combattant qui les a menés dans la situation actuelle.
Voici ce qui me frappe dans leurs témoignages et ceux de mes patientes : en regardent leurs photos d’enfance, elles n’y voient qu’une petite fille un peu plus ronde que la« normale »….qui a enchaîné régime après régime et vu son poids grimper inexorablement à chaque décompensation de phase de restrictive.
Alors de grâce,changeons de regard. Osons remettre en question nos croyances.
Ce qui fait grossir,c’est de manger de trop par rapport à nos besoins. Quelque soit la composition nutritionnelle de ce « tout ». De vouloir contrôler notre alimentation. « Faire attention » est une pratique restrictive déguisée.
« Osez manger- Se libérer du contrôle » le dernier ouvrage commis par Jean-Philippe ZERMATI*, est des plus précieux pour comprendre notre époque et ce qui se joue en matière alimentaire.
Osons manger joyeusement, nous remettant à l’écoute de notre corps, en mangeant en pleine présence le plus possible.
Nous ferons alors de la prévention primaire seul moyen véritable pour réduire la prévalence de l’obésité.
Projet bienveillant et droits de l’enfant
Éduquons nos enfants à un rapport doux, paisible envers les aliments. Leur apprenant à développer esprit critique et discernement envers leurs choix alimentaires. Conscient de leur corps, de leurs sensations corporelles et sensorielles.Le mangeur moderne dédie une énergie monumentale à lutter contre les aliments gras et sucrés, contre les envies de douceurs. S’il investissait ne serait-ce qu’un tiers de cette énergie au service d’une autre manière de manger ? Pour apprendre à manger ces mêmes aliments avec attention aux 5 sens, leurs messages, présent au plaisir et à son évolution, au rassasiement, le tout dans un rapport sécurisant à l’aliment.
Il est encore temps.
Il est temps d’affronter la peur que les enfants grossissent. Pour que justement, ils gardent un rapport régulé et souple avec leur assiette ! Et qu’ils restent à leur poids d’équilibre, celui qui a été défini par leurs gènes, par la Nature.
Alors, « osez manger ». Joyeusement. Pleinement vivants et présents, dans l’instant présent.
Alexandra PALAO
Diététicienne-nutritionniste comportementale, praticienne du G.R.O.S
Instructrice de méditation de pleine conscience (MBSR)
Consultante et créatrice de Programmes d’éducation au goût en pleine conscience
*: Jean-Philippe ZERMATI est l’un des 3 fondateurs du Groupe de Réflexion sur l’Obésité et le Surpoids, crééen 1998. L’association regroupe des professionnels de santé prenant en charge des personnes en difficulté avec leur poids et leur comportement alimentaire. L'association a vocation d'être un lieu de réflexion, d'échanges et de formation.
** : "Gros n'est pas un gros mot", Daria Marx et Eva Perez-Bello et "On ne naît pas grosse", de Gabrielle Deydier.